L’exposition Songlines, Chat des Pistes du Désert Australien est visible jusqu’à début juillet au Musée du Quai Branly. Vous avez encore quelques semaines pour y aller. Il s’agit d’une belle exposition, accompagnée d’un beau catalogue, essentiellement centrée sur une partie de l’Australie Occidentale et des zones situées à la frontière avec le Territoire du Nord et l’Australie Méridionale. Le fil conducteur est une thématique, le Rêve des Sept Soeurs. L’intérêt de cette exposition tient à plusieurs éléments : - C’est un ensemble important par le nombre de pièces proposées mais aussi par la diversité. Les poteries, variées dans le travail, dans la forme et les couleurs, s’inspirent aussi de motifs ancestraux même si elles peuvent paraître modernes et parfois sobres. En faire venir comporte toujours un risque de casse ! Et si on rajoute un prix assez élevé, on comprend pourquoi il est rare d’en voir. - De même cette expo propose, et c’est également un plus en matière de scénographie, l’un des points forts de Songlines, des sculptures en fibres végétales et laine, d’un format conséquent. C’est certainement une découverte pour une partie du public. Elles représentes les Sept Soeurs, de façon assez figurative, c’est-à-dire sous la forme de sept femmes mais aussi sous la forme d’Ancêtres se transformant en arbre par exemple (les sculptures prennent alors une forme étrange, comme une chimère mi-femme mi-arbre – Les Rêves / Ancêtres étaient des Etres protéiformes). C’est un beau travail, original, qui permet de mieux visualiser les histoires anciennes et qui montre, s’il en est besoin, la créativité des artistes (plus importante que ce que le public mais aussi certains spécialistes peuvent penser!). - quelques objets traditionnels comme des propulseurs, lances, boucliers, plateaux traditionnels, sculptures représentant des serpents,… - l’art graphique est centré, bien entendu, sur la peinture mais des gravures sont aussi montrées. On peut toutefois regretter : - la qualité des gravures : elles n’offrent strictement aucun intérêt. Fallait-il les montrer ? J’ai eu l’occasion de voir des gravures de belle qualité, bien travaillées, avec un vrai travail de mise en forme des histoires et qui ont pu, chez certains artistes, déboucher sur de nouvelles idées (Michael nelson Jagamarra étant le meilleur exemple). Graphiquement, ici, elles sont pauvres. - la différence de qualité dans les peintures. Il y a des pièces remarquables, souvent de grands formats. Ainsi, la pièce reproduite sur la couverture du catalogue (260 pages avec de très belles photos, agréable à parcourir) mesure 300 x 500 cm. Heureusement qu’une partie des peintures de la région de Newman sont des pièces anciennes, date d’une période où l’on trouvait quelques toiles de bonne facture. La production actuelle de cette communauté est en moyenne très peu intéressante. C’est également la raison principale du manque de notoriété des artistes de cette zone. Peu d’expositions se montent sur cette zone (C’est également le cas d’autres communautés aborigènes, tous les Aborigènes ne sont pas des artistes accomplis !). - On peut regretter l’espace laissé aux artistes, quelques lignes à la fin du catalogue. Je comprends le sens de l’expo et du texte du catalogue, qui tourne autour de la préservation de connaissances, d’histoires et cérémonies qui remontent à la nuit des temps et qui pourraient fort bien disparaître à court terme. Mais il me semble que le Musée du Quai Branly a été construit avec l’idée de montrer que les pièces qualifiées d’ethnologiques sont également artistiques. Et bien ici il semble que le côté artistique soit très anecdotique. Le catalogue ne dit nulle part que chaque peinture comporte un parti pris de l’artiste, un choix fort de comment il va décrire une histoire, sur quel élément il va s’appuyer. Ici ce n’est jamais évoqué. - on a, à la fin du catalogue, tout une série de peintures de deux artistes qui montrent une seule chose : elles ont été produites alors que les artistes étaient en fin de vie, n’étaient plus en capacité de produire des œuvres abouties. Aucune personne investie dans cette expo n’a été capable de le voir et d’écarter ces peintures ? N’y avait-il pas d’autres peintures à montrer ? Non seulement on expose ces barbouilles (il ne s’agit pas d’empêcher les peintres âgés de produire, il s’agit de ne pas inclure ses patouilles dans de grandes expositions internationales) mais il y a un chapitre qui explique que c’est génial !?! « Darren Jorgensen nous dit que « l’acte pictural est souvent à son meilleur lorsqu’il use d’une grande économie de gestes ». J’appelle ça de la bêtise ou de la manipulation. On retombe ici sur l’exemple de Sally Gabori. L’art aborigène n’a pas besoin de ça. L’économie de gestes a été parfaitement illustrée par de grands maîtres de ce mouvement, avec Rover Thomas et ses suiveurs (dont Paddy Bedford mais aussi Freddie Timms,…), avec Yannima Tommy Watson, Ronnie Tjampitjinpa, Mick Namarari, George Tjungurrayi, et tant d’autres (y compris avec des changements subtils dans la façon de peindre avec les points ; souvent les spectateurs ne voient pas comment certains artistes ont, doucement, apporté des changements et contribué à l’évolution de cet art) …. Mais eux on fait une révolution quand ils étaient en pleine possession de leurs moyens. De même, c’est encore le cas chez des peintres qui, vieillissant, font évoluer leur style avec leur possibilité … mais avec quelle maestria ! comme aujourd’hui Murdie Morris Nampijinpa (incapable de peindre avec des points) : le style est moins précis mais on sent que la main est toujours ferme et qu’il y a une réelle idée de comment réaliser une œuvre belle (même s’il semble que ce mot ne veuille plus dire grand-chose en peinture ! Il vaut mieux choquer), puissante (ça peut être très puissant ET beau, ET équilibré). C’est le bémol de cette très belle exposition, on aurait pu échanger certaines œuvres. On peut aussi regretter le fait de ne pas avoir placé une ou deux pièces des artistes qui ont popularisé ce thème, du Rêve des Sept Soeurs ? On pense à Gabriella Possum Nungurrayi (Elle a un style plus facile, plus populaire. Mais je suis de ceux qui pensent que ce qui est populaire peut AUSSI être de bon goût et cela permet de montrer au public d’autres techniques, des façons innovantes de montrer le même thème). mais pourquoi pas à d’autres, Walangkura Reid Napanangka, Mary Dixon,… et dans les zones mentionnées dans l’expo, Maringka Baker. ...
La vente Sotheby’s du 23 mai 2023 a donné de bons résultats malgré une sélection resserrée, et de qualité inégale à nos yeux. Elle a démarré par des œuvres, du nord de l’Australie, de Terre d’Arnhem, anciennes. Elles s’adressaient davantage à un public amateur d’art tribal. La très belle sculpture d’Enraeld Djulabinyana Munkara n’avait rien à envier aux plus belles pièces d’Afrique ou d’Océanie et son prix dépassait les 28 000 €. Suivait un ensemble de peintures sur écorces, la plupart figuratives (les œuvres de Terre d’Arnhem Centrale et de Terre d’Arnhem Orientale peuvent avoir un aspect très abstrait), mettant en scène les Esprits Mimih ou des animaux totémiques. La première, originale, montrant un combat entre deux Ancêtres du Temps du Rêve, partait pour 14 000 € alors que la seconde, décrivant un groupe de pintades, mais manquant de puissance, ne trouvait pas preneur. Toutes les peintures suivantes, certaines intéressantes, ne partaient pas forcément. La seule écorce abstraite attribuée à Charlie Madigan affichait 6 000 € alors que Paddy Compass, un des peintres célèbres, doublait presque ce prix. Le Nord du Kimberley était représenté avec une série d’Esprits Wanjina peinte sur écorce. Il s’agissait de pièces anciennes mais qui ne rivalisent pas avec les plus belles peintures de cette période. La plus belle trouvait un acheteur pour un peu plus de 30 000 euros (Charlie Numbulmore). Un peu plus au Sud, la communauté de Warmun / Turkey Creek a donné à ce mouvement quelques-uns des grands noms. Paddy Jaminji, oncle clanique de Rover Thomas, et qui avait fait partie des premiers peintres à peindre le cycle cérémoniel « rêvé » par son neveu, nous offrait une pièce à la fois caractéristique et poétique. Elle était saluée par 28 000 euros. La toile de Paddy Bedford, habituée aux prix très élevés, ne partait pas. Si on glisse encore un peu en direction du centre de l’Australie, la communauté de Balgo, connue pour son mélange de groupes linguistiques et donc culturels, était présente avec quelques-uns de ses meilleurs représentants. Tjumpo Tjapanangka, avec une représentation symbolique du voyage des Ancêtres Tingari dans un style proche des voisins du Désert Occidental atteignait les 28 000 € alors qu’une seconde pièce frisait les 90 000 euros malgré des teintes un peu fade peut-être et une dernière 70 000 €. Il ne fallait « que » 6 400 euros pour partir avec un Johnny Mosquito, mais qui ne pouvait pas rivaliser dans la puissance visuelle avec les pièces de Tjumpo. On peut noter également la toile de Weaver Jack à 11 800 €. Puis la vente se poursuivait avec les toiles du centre de l’Australie, en général plus attendues. En ce qui concerne les peintures anciennes, du début du mouvement artistique, les acheteurs avaient le choix, pour commencer et pour les mêmes estimations raisonnables, entre un Timmy Payungka et un Old Walter Tjampitjinpa. Seul le second se vendait, pour 23 600 €. Bien au dessus en matière de qualité, un magnifique Johnny Warangkula dépassait les 700 000 euros et c’était mérité. George Tjungurrayi est peut-être le dernier grand maître capable de peindre. S’il est très célèbre, si ses œuvres font partie de très nombreuses collections prestigieuses, il nous semble que, pour le moment, il est encore sous estimé. A nos yeux, bien meilleur peintre que Warlimpirrnga Tjapaltjarri par exemple ou que Joseph Jurra Tjapaltjarri, il mériterait une meilleure reconnaissance. Il a aussi une forte personnalité et c’est un homme attachant même s’il est souvent compliqué de travailler avec lui ! C’est aussi lui qui m’a donné mon nom aborigène ! Jusqu’ici, son record en vente publique se situait autour de 50 000 €. Dans cette dernière vente Sotheby’s, il vendait ses 3 peintures (intéressantes mais pas exceptionnelles tant George est capable de mieux) pour des prix bien supérieurs : deux atteignent 70 000 € (183 x 244 cm) et une 93 000 € (126 x 160 cm). Ronnie, son rival de toujours, avait une seule toile cette année ; loin d’être une pièce majeure, elle s’affichait à 11 400 euros. Willy Tjungurrayi, dans un style minimaliste, avec une composition linéaire (inspirée du site de Kaakuratjintja) dépassait les 41 000 euros. Lui aussi voit sa côte se confirmer peu à peu. Dans un registre assez proche, une peinture de Joseph Jurra atteignait les 56 000 euros. 28 000 euros saluait une œuvre réalisée avec des fibres végétales, comme lors des cérémonies, par Dinny Nolan. Warlimpirrnga Tjapaltjarri, habitué ces dernières années à des prix très élevés, voyait partir deux pièces a un peu moins de 20 000 euros. Chez les femmes, si la toile de Ningura Napurrula ne se vendait pas, celle de Makinti Napanangka, dans une facture classique pour cette artiste, avec de belles teintes solaires, partait pour 118 000 euros. Une surprise venait d’Angelina Pwerle, artiste de la communauté d’Utopia. Même si la toile proposée avait un beau rendu, avec un très fin travail pointilliste, à 112 200 euros, elle paraît un peu chère payée. Et nous lui avons toujours préféré les toiles sur le même thème de Kathleen Ngale, plus poétiques et plus originales. Le prix de 41 000 euros décrochée pour une œuvre collective (réalisée par 3 peintres, Nola Taylor, Morika Biljabu, Jakayu Biljabu), d’une bonne taille, 125 x 300 cm, souligne l’intérêt pour ce genre de peintures à plusieurs mains qui est tendance depuis maintenant quelques années. C’est un apport réel à ce mouvement. Sally Gabori, après les expositions à Paris (Fondation Cartier) puis à Venise était attendue. J’ai souvent dit ce que je pensais du travail de cette artiste : intéressant dans le rendu mais très surfait. Elle était très diminuée et le rendu est apporté essentiellement par les formats et la couleur. Beaucoup d’artistes aborigènes ont réalisé un travail tout aussi original (y compris en continuant à peindre avec les points, mais en faisant prendre un tournant inattendu à leurs œuvres). Dans le même genre de peintures nerveuses, à l’aspect très abstrait, Yannima Tommy Watson nous semble un bien meilleur peintre. Mais ce que décide le marché, avec un peu de manipulation,…. Nous allons revenir sur la perception que j’ai de certains artistes en évoquant l’exposition temporaire au Musée du Quai Branly. Donc, et malgré tout c’est une très bonne chose pour le marché de l’art aborigène, un très grand format de Sally atteignait 176 000 euros (environ 200 x 300 cm) et un autre, plus petit, environ 38 000 €. Sotheby’s proposait en fin de vente un peintre dit « urbain », Richard Bell, un artiste chez qui les préoccupations politiques ne sont jamais loin. Il fallait 82 000 euros pour espérer partir avec sa toile. Enfin pour terminer le contre rendu de cette vacation, évoquons Pepai Carroll Jangala. Peu connu du grand public avec une production limitée et tardive, sa toile s’envolait jusqu’à 118 000 euros. Le marché semble apprécier particulièrement les œuvres à l’aspect contemporain !
Nouvelle exposition en Suisse, à Genolier (entre Genéve et lausanne, au dessus de Nyon) en mai 2023 en collaboration avec la galerie Au Temps qui passe.
Le Musée organise une exposition temporaire intitulée Songlines jusqu'au 2 juillet 2023.